Une commune peut exercer le droit de préemption urbain pour la construction d'un édifice cultuel ?

Par Alexis Deprau

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Par un arrêt du 22 décembre 2022, il était demandé au Conseil d’Etat de savoir si une commune pouvait exercer le droit de préemption urbain pour la construction d'un édifice cultuel (CE, 22 déc. 2022, n° 447100).

Des propriétaires vivant sur le territoire de la commune ont un terrain mitoyen d'une mosquée gérée par une fédération cultuelle. La commune a exercé, par décision du 25 janvier 2017, son droit de préemption sur un terrain, mis en vente pour la deuxième fois par les propriétaires, afin de permettre « la réalisation d‘une opération comprenant l'extension de la mosquée, la construction de salles de cours et d'une bibliothèque destinées à l'enseignement religieux et la réalisation de places de stationnement ».

Saisi par les propriétaires, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision de préemption. La Cour administrative d'appel de Versailles a confirmé le jugement au double motif, d'une part, de la méconnaissance des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 prohibant les subventions aux cultes et, d'autre part, de ce que le projet est d'une ampleur insuffisante pour être regardé comme une action ou une opération d'aménagement pouvant justifier l'exercice du droit de préemption. La commune a alors formé un pourvoi en cassation, avec pour question principale devant le Conseil d’État, à savoir si une commune pouvait exercer le droit de préemption urbain pour la construction d'un édifice cultuel. Il cassa l'arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles et annulé le jugement, mais a aussi statué au fond.

Au titre de l'article L. 210-1 du Code de l'urbanisme, il est permis d'exercer le droit de préemption « pour la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations d'aménagement répondant aux objectifs définis à l'article L. 300-1 ». Alors même que le rapporteur public estimait « que la dimension collective ne suffit pas nécessairement à caractériser l'existence d'un intérêt général de nature à justifier l'exercice d'une prérogative de puissance publique telle que la préemption » dans la mesure « la satisfaction des besoins religieux de la population ne fait pas partie des missions d'intérêt général dont les collectivités publiques sont investies », le Conseil d'État n’a pas suivi les préconisations du rapporteur public pour prendre même au final une position inverse. Pour ce dernier, « la seule circonstance que l'équipement collectif en vue duquel le droit de préemption est exercé vise à permettre l'exercice d'un culte n'est pas de nature à faire regarder la réalisation du projet comme ne répondant pas à un intérêt général suffisant ».

La position libérale apportée par le Conseil d’État amène à penser qu’il y a une restriction du champ d’application du principe de laïcité et de la loi de 1905. Certes, ni le principe de laïcité ni la loi de 1905 n'étaient applicables au cas d'espèce. Pour autant, par cette décision, le Conseil d’État admet que le projet concerné répondait à un intérêt général suffisant, un élément capital aujourd’hui, puisque tendant à reconnaître une place plus étendue aux intérêts cultuels dans la République laïque, laïcité inscrite à l’article 1er de la Constitution.